Train d'Alaska

Chapitre 3 : BUCK PREND LE COMMANDEMENT

– Hein ! qu’est-ce que j’avais prévu ? L’avais-je dit que Buck valait deux diables ? Ainsi parlait François, quand le matin suivant, ayant cons-taté la disparition de Spitz, il attira Buck près du feu, pour compter ses blessures.– Ce Spitz s’est battu comme un démon, dit Perrault, en examinant les nombreuses déchirures béantes.– Et ce Buck comme l’enfer tout entier, répondit François. Maintenant nous allons bien marcher... Plus de Spitz, plus d’ennuis ! Tandis que Perrault emballait les effets de campement et chargeait le traîneau, François s’occupait d’atteler les chiens. Buck vint à la place qu’occupait Spitz comme chef de file, mais François, sans faire attention à lui, installa à ce poste tant désiré Sol-leck, qu’il jugeait le plus apte à l’occuper ; Buck furieux sau-ta sur le Mal-Content, le chassa et se mit à sa place.– Hé, hé ! cria François en frappant joyeusement des mains, regardez ce Buck ! Il a tué Spitz, et maintenant il croit faire l’affaire comme chef.– Va-t’en ! hors de là !... cria-t-il. Mais Buck refusa de bouger. François prit le chien par la peau du cou malgré ses grognements menaçants, le mit de côté et replaça Sol-leck dans les traits. Cela ne faisait pas du tout l’affaire du vieux chien, terrifié par l’attitude menaçante de Buck. François s’entêta, mais dès qu’il eut le dos tourné, Buck déplaça Sol-leck qui ne fit aucune difficulté de s’en aller. Fureur de François :– Attends un peu, je vais t’apprendre !... cria-t-il, revenant armé d’un lourd bâton.Buck, se rappelant l’homme au maillot rouge, recula len-tement, sans essayer de nouvelle charge, lorsque Sol-leck fut pour la troisième fois à la place d’honneur ; mais, grognant de colère, il se mit à tourner autour du traîneau, hors de portée du bâton et prêt à l’éviter si François le lui avait lancé. Une fois Sol-leck attelé, le conducteur appela Buck pour le mettre à sa place ordinaire, devant Dave. Buck recula de deux ou trois pas ; Fran-çois le suivit, il recula encore. Après quelques minutes de ce manège, François lâcha son bâton, pensant que le chien redou-tait les coups. Mais Buck était en pleine révolte. Ce n’était pas seulement qu’il cherchât à éviter une correction, il voulait la di-rection de l’attelage qu’il estimait avoir gagnée et lui appartenir de droit.Perrault vint à la rescousse ; pendant près d’une heure, les deux hommes s’évertuèrent à courir après Buck, lui lançant des bâtons qu’il évitait avec adresse. Il fut alors maudit ainsi que son père et sa mère et toutes les générations qui procéderaient de lui jusqu’à la fin des siècles ; mais il répondait aux anathèmes par des grognements et toujours échappait. Sans tenter de s’enfuir, il tournait autour du camp, pour bien prouver qu’il ne voulait aucunement se dérober, et qu’une fois son désir satisfait, il se conduirait bien.François s’assit et se gratta la tête ; Perrault regarda sa montre derechef, se mit à sacrer et jurer : le temps passait, il y avait déjà une heure de perdue. François fourragea de plus belle dans ses cheveux ; puis il hocha la tête, ricana d’un air assez pe-naud en regardant le courrier qui haussa les épaules comme pour constater leur défaite. François s’approcha de Sol-leck tout en appelant Buck ; celui-ci rit comme savent rire les chiens, mais il conserva ses distances. François détacha les traits de Sol-leck et le remit à sa place habituelle. L’attelage prêt à partir formait une seule ligne complète sauf la place de tête qui atten-dait Buck. Une fois encore François l’appela, mais une fois en-core Buck fit l’aimable sans s’approcher de lui